Depuis sa création, la Cellule nationale de Traitement des Informations Financières (CENTIF) du Bénin s’est imposée comme un acteur clé dans la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme. Chargée d’analyser et de traiter les informations financières afin de détecter et de prévenir les flux financiers illicites, la CENTIF a su relever des défis importants, renforçant ses capacités opérationnelles et son impact dans la préservation de l’intégrité du système financier national. Son bilan témoigne de la pertinence de ses actions dans un contexte mondial où les risques financiers liés à la criminalité organisée et au terrorisme sont en constante évolution.
À la tête de cette institution dynamique et stratégique, un nouveau Président a été nommé le 31 juillet 2024 : M. Abdou Rafiou BELLO. Précédemment Conseiller technique à l’Économie du Ministre d’Etat chargé de l’Economie et des Finances, puis Directeur général du Fonds National de la Microfinance et de l’Agence Nationale de Surveillance des Systèmes Financiers Décentralisés (ANSSFD), M. Abdou Rafiou BELLO apporte à la CENTIF une expérience riche et diversifiée dans la supervision et la réglementation financières. Fort de sa vision stratégique et de sa compréhension fine des enjeux internationaux et locaux, il est bien placé pour consolider les avancées réalisées et pour donner une impulsion nouvelle à la lutte contre les circuits financiers illicites. Sous son leadership, la CENTIF entend ainsi poursuivre sa mission avec une efficacité accrue, notamment à travers l’application rigoureuse de la nouvelle loi n°2024-01 du 20 février 2024 portant loi uniforme relative à la lutte contre le blanchiment de capitaux, le financement du terrorisme et de la prolifération des armes de destruction massive.
Pour mieux comprendre les ambitions de cette nouvelle législation et les orientations stratégiques de la CENTIF sous la direction de M. Abdou Rafiou BELLO, nous avons préparé un entretien exclusif.
Monsieur le Président, veuillez-vous présenter à nos lecteurs.
Economiste de formation, je suis titulaire d’un Master en stratégie et intelligence économique. Je cumule plus d’une vingtaine d’années d’expériences à la Banque centrale des Etats de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO) et auprès du Gouvernement où j’ai successivement occupé les fonctions de Conseiller technique à l’économie, Directeur Général du Fonds National de la Microfinance et Directeur Général de l’Agence Nationale de Surveillance des Systèmes Financiers Décentralisés. Comme vous l’avez indiqué, j’ai une expérience diversifiée tant dans l’analyse macroéconomique que dans la réglementation bancaire et financière.
Quels sont les organes nationaux et internationaux qui structurent le dispositif de lutte contre le blanchiment de capitaux, le financement du terrorisme et de la prolifération des armes de destruction massive ?
La lutte contre le blanchiment de capitaux s’est imposée au fil des années comme un outil majeur de gouvernance économique. Elle vise à protéger le système financier des activités criminelles et assurer la solidité, l’intégrité et la stabilité de l’économie nationale. En effet, il a été prouvé que l’introduction des ressources issues des activités criminelles comme la corruption, le trafic de drogue, le trafic d’enfants peut perturber durablement l’économie en privant les populations de l’accès aux ressources et renforcer la fragilité du système financier qui deviendra prisonnier des flux extrêmement volatiles. C’est pourquoi depuis quelques années, la communauté internationale oblige les pays à mettre en place des cadres et des dispositifs de LBC/FTP conformes aux normes et efficaces ; faute de quoi, ils pourraient être privés des flux financiers mondiaux.
Au titre des organismes qui structurent le dispositif de LBC/FTP au plan international, nous avons :
Le Groupe d’Action Financière (GAFI) qui est un organisme intergouvernemental indépendant dont la mission consiste à élaborer et promouvoir des stratégies de protection du système financier mondial face au risque de blanchiment de capitaux, de financement du terrorisme et de la prolifération des armes de destruction massive. C’est l’organisme mondial de surveillance du blanchiment de capitaux et du financement du terrorisme. Il définit des normes qui s’imposent à tous les pays et conduit les processus d’évaluation qui examinent la conformité du cadre légal et institutionnel (conformité technique) et l’efficacité des mesures prises. Les pays qui n’ont pas de dispositif conforme peuvent être mis sous surveillance renforcée ou rapprochée ; sur la liste grise ou noire des juridictions à haut risque.
Le Groupe Intergouvernemental d’Action contre le Blanchiment d’Argent en Afrique de l’Ouest (GIABA) est un organisme régional de type GAFI. Le GIABA a été créé en 2000 par la Conférence des Chefs d’Etat de la CEDEAO. Il a pour mission d’aider et de soutenir les Etats membres de la communauté dans la mise en œuvre des normes de LBC/FTP. A travers ses actions, le GIABA étend et renforce la coopération intrarégionale et internationale, soutient la mise en place de structures et de pratiques fortes, efficaces et efficientes. Il assure par ailleurs, le suivi de la conformité des dispositifs nationaux à travers les évaluations mutuelles et les rapports de suivis. En dehors des pays membres de la CEDEAO, le GIABA s’est étendu aux Îles Comores et à Sao Tomé et Principe.
Au plan national, le dispositif nécessite une bonne coordination des politiques et une forte collaboration au niveau des institutions et des structures impliquées dans la LBC/FTP. A cet égard, on distingue principalement :
Le Comité National de Coordination des Activités (CNCA) de lutte contre le blanchiment de capitaux, le financement du terrorisme et de la prolifération des armes de destruction massive (LBC/FTP): Institué par le décret n° 2022-350 du 22 juin 2022, le CNCA est l’organe interministériel chargé de l’élaboration et de la coordination des politiques, stratégies et activités visant à lutter contre le blanchiment de capitaux, le financement du terrorisme et de la prolifération des armes de destruction massive au Bénin. Il coordonne toutes les politiques et initiatives en matière de LBC/FTP et formule des propositions de réformes au Gouvernement. Le CNCA conduit notamment les évaluations nationales des risques de blanchiment de capitaux et de financement du terrorisme ainsi que les évaluations sectorielles et s’assure de la diffusion des résultats et de la mise en œuvre des plans d’actions qui en découlent.
Enfin, la Cellule Nationale de Traitement des Informations Financières (CENTIF) que nous appelons dans notre jargon une Cellule de renseignement financier (CRF).
La mise en place des Cellules de renseignement financier est une recommandation du GAFI qui exige que les pays établissent des CRF et les dotent de moyens conséquents pour collecter, traiter, produire et diffuser de l’information financière sur les transactions suspectes. Ces exigences ont été matérialisées dans la loi n°2024-01 du 20 février 2024 qui fait de la CENTIF autorité administrative, placée sous la tutelle du Ministre chargé des finances, dotée de l’autonomie financière et d’un pouvoir de décision autonome sur les matières relevant de sa compétence. La CENTIF reçoit les déclarations d’opérations suspectes de tous les assujettis (banque, microfinance, établissements financiers, assurance, émetteur de monnaie électronique, ONG, sociétés de jeux, notaires et autres), les traite et partage les résultats de ses investigations avec le Procureur Spécial près la Cour de Répression des Infractions Economiques et du Terrorisme, les autorités d’enquêtes et les autres autorités compétentes. La nouvelle loi fait de la CENTIF la clé de voûte du dispositif national de LBC/ FTP grâce à son rôle de catalyseur de toutes les initiatives et notamment les évaluations nationales de risque.
Quelles sont les principales innovations de la loi n°2024-01 du 20 février 2024 portant loi uniforme relative à la lutte contre le blanchiment de capitaux, le financement du terrorisme et de la prolifération des armes de destruction massive ? Et pourquoi étaient-elles nécessaires ?
Il faut dire que la loi n°2024-01 du 20 février 2024 portant loi uniforme relative à la lutte contre le blanchiment de capitaux, le financement du terrorisme et de la prolifération des armes de destruction massive constitue une mise à jour des précédentes lois dont la première version a été adoptée en 2006. Elle découle des recommandations du deuxième cycle des évaluations mutuelles des pays de l’UEMOA qui ont révélé plusieurs lacunes et vulnérabilités dans les dispositifs nationaux de LBC/FTP.
Concrètement et de façon non exhaustive, les principales innovations de la nouvelle loi peuvent être résumées comme suit :
Comment cette loi renforce-t-elle les pouvoirs et les moyens d’action de la CENTIF dans la prévention et la détection des activités financières illicites ?
L’efficacité de l’actions de la CENTIF dépend en grande partie de la mise en place par les assujettis des dispositifs permettant de prévenir et de détecter le blanchiment des capitaux, du financement de terrorisme et de la prolifération et la qualité des déclarations d’opérations suspectes. A cet effet, la nouvelle loi a étendu le champ des assujettis et renforcé leurs obligations. L’adoption de l’Approche fondée sur les risques permettra entre autres une optimisation des ressources afin de focaliser l’attention sur les secteurs/activités les plus sensibles ou à risque plus élevé. De même, plusieurs dispositions renforcent le droit de communication de la CENTIF, l’accès aux données et la collaboration entre les administrations. Par ailleurs, la Loi renforce l’indépendance de la CENTIF en consacrant le principe d’irrévocabilité du mandat de ses membres. Le Président est ainsi nommé pour un mandat de cinq ans, non renouvelable, alors que les membres sont désignés pour un mandat de trois ans, renouvelable une fois.
Quels sont les nouveaux dispositifs introduits pour encourager la collaboration entre les différentes institutions nationales et internationales dans la lutte contre le blanchiment de capitaux, le financement du terrorisme et la prolifération des armes de destruction massive ?
Effectivement, au regard du caractère transnational des infractions liées au blanchiment de capitaux et au financement du terrorisme, la qualité des dispositifs de LBC/FTP repose sur une bonne coopération entre les parties prenantes aussi bien au plan national qu’international. Ainsi, outre les échanges d’informations qui ont été simplifiés, la coopération judiciaire internationale en matière de lutte contre le blanchiment se trouve renforcée. Ainsi, l’article 139 de la Loi établit par exemple le principe de la compétence internationale pour les infractions commises dans les États membres de l’UEMOA. C’est-à-dire que les juridictions nationales sont compétentes pour connaître des infractions commises dès lors que le lieu de commission se trouve dans l’un des États membres. L’article 141 autorise le transfert de poursuite lorsqu’une autorité estime que les poursuites entamées se heurtent à des obstacles majeurs et qu’une procédure pénale adéquate est possible dans un État membre. De même, en vertu des circonstances et en cas d’urgence, l’autorité compétente d’un état peut demander l’arrestation provisoire d’un individu recherché en attendant la présentation d’une demande formelle d’extradition.
La nouvelle loi impose-t-elle de nouvelles obligations spécifiques aux institutions financières et aux entreprises du secteur privé ? Comment celles-ci sont-elles amenées à se conformer aux nouvelles normes ?
La nouvelle loi renforce les obligations des assujettis. De façon synthétique, chaque assujetti doit procéder au préalable à l’identification et l’évaluation de ses risques de blanchiment de capitaux de financement du terrorisme et de la prolifération afin de mettre en œuvre une organisation et des moyens adéquats. Les institutions doivent identifier et connaître leurs clients (KYC) et mettre en place des mesures de vigilance sur la clientèle et les opérations. Ils doivent identifier les bénéficiaires effectifs, conserver et archiver les documents sur une période de dix ans. Les institutions doivent également procéder à une continuité des opérations en vue de détecter et de transmettre les opérations suspectes à la CENTIF. Pour les amener à se conformer à leurs obligations, la CENTIF et les autorités de supervision procèdent à l’élaboration de lignes directrices qui renseignent chaque type d’assujettis sur la manière de mettre en place les obligations qui leurs incombent dans le cadre de la LBC/FTP.
Quelles sont les sanctions prévues par cette loi pour les contrevenants et comment leur application contribuera-t-elle à dissuader les comportements illicites ?
La Loi prévoit une palette de sanctions à l’encontre des personnes et/ou entités coupables de blanchiment de capitaux, de financement du terrorisme et de la prolifération des armes de destruction massive. Ainsi, une personne physique reconnue coupable de blanchiment de capitaux peut encourir une peine d’emprisonnement allant jusqu’à sept ans et d’une amende égale au triple de la valeur des biens ou des fonds sur lesquels ont porté les opérations de blanchiment sans préjudice des peines de confiscation et saisie. Les peines de prison et les amendes sont portées au double dans des circonstances particulières et en cas de récidive. La Loi renforce également le pouvoir de contrôle des autorités de contrôle qui peuvent prendre des mesures administratives et mettre en place des sanctions disciplinaires et pécuniaires à l’encontre des assujettis pour défaut de vigilance ou lorsqu’elles n’ont pas mis en place le dispositif adéquat pour la prévention et la détection des actes constitutifs de blanchiment de capitaux, de financement de terrorisme et de la prolifération. C’est dans ce cadre que la Commission bancaire a sanctionné récemment plusieurs banques de l’espace UEMOA.
Quelles actions de sensibilisation et de formation la CENTIF envisage-t-elle pour assurer une meilleure compréhension et application de cette loi par les acteurs économiques et le grand public ?
La CENTIF a d’ores et déjà démarré des actions de sensibilisation en ayant des rencontres spécifiques avec des acteurs comme l’ordre des avocats, le secteur de la microfinance et les responsables de conformité au niveau des banques. En 2025, les actions de vulgarisation et de sensibilisation seront étendues grâce à notre programme d’actions qui va nous amener parfois à rencontrer les acteurs au niveau déconcentré. C’est le lieu de remercier les Autorités qui soutiennent la lutte contre le blanchiment, en particulier le Ministre d’Etat, Ministre de l’Economie et des Finances qui prête une oreille attentive à nos préoccupations et le Gouvernement qui dote la CENTIF de moyens adéquats.
Quelles perspectives entrevoyez-vous pour renforcer davantage la lutte contre le blanchiment de capitaux, le financement du terrorisme et de la prolifération des armes de destruction massive au Bénin dans les années à venir ?
En perspective, les actions à mener visent à préparer le troisième cycle des évaluations mutuelles du GIABA afin d’éviter au Bénin d’être placé sur la liste grise des pays nécessitant un suivi particulier de leur dispositif LBC/FTP. Cela passe également par le relogement de la CENTIF et le renforcement de ses capacités d’analyse et d’investigations. A cet effet, les travaux de mise à jour de l’évaluation nationale des risques et de l’élaboration d’une stratégie nationale de LBC/FTP ont démarré. Cette évaluation doit permettre d’apprécier l’impact des mesures prises et d’avoir une idée des nouveaux risques en vue de mettre en place un plan d’actions. Je profite de l’occasion pour remercier toutes les entités et structures qui nous accompagnent dans le processus.